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Marie Bechetoille
Directrice du Cneai
63e salon de Montrouge, 2018
S’envoler, flotter, se camoufler. Ronan Lecreurer cherche dans ses lectures et ses voyages des prétextes à l’évasion. Inspiré d’images et de récits scientifiques, littéraires, il invente selon les contextes des sculptures produisant des déplacements réels et imaginaires. L’esthétique minimale, de la répétition des formes simples aux couleurs primaires, rappelle que les origines de l’abstraction viennent de l’observation des lois de l’organisation de la matière dans la Nature. Car c’est une histoire des formes qui nous est racontée, où la connexion de lignes, de plans et de volumes produit des micro-mondes, des terrains d’expérimentations et de projections. Des ailes d’Icare au fil d’Ariane, le travail de Ronan Lecreurer convoque la figure du labyrinthe et ses méandres, et nous projette dans un monde sans fin. Le Livre de sable (1975) de Jorge Luis Borges commence ainsi: «La ligne est composée d’un nombre infini de points; le plan, d’un nombre infini de lignes; le volume, d’un nombre infini de plans; l’hyper-volume, d’un nombre infini de volumes…».
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Maki Cappe
Doctorante en philosophie de l’art, professeure à la Sorbone et co-commissaire au Laboratoire de la création, Paris
Syphons, Vessels and Other Shy Molluscs, 2022
Cette colonne est une histoire de mollusques et de plantes aquatiques. Chaque forme de cette colonne évoque un lien entre le liquide et le vivant marin à travers une fonction organique déterminée: absorber, contenir, se nourrir, se reproduire, s’informer, se déplacer ou encore d’éjecter les fluides des organismes immergés.
On peut voir cette œuvre comme un mobile, comme une chaîne ou une colonne. Elle éveille la curiosité des disciplines qui s'entrelacent; la biologie, la malacologie, le design ou l’architecture. Pourtant, plus encore que d’être conçue comme une et indivisible, il faut percevoir la discrète individuation de chaque élément qui la constitue car il est à lui seul un système, il se réfère de manière autonome à un organisme en particulier. S’il est difficile de dire ce qui les relie en propre car le mot échappe à la science, c’est bien à une espèce de classification que nous avons affaire. Classification personnelle faite par l’artiste de «systèmes» organiques permettant la régulation et l’interaction de leurs corps avec des fluides.
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Marie Cozette
Directrice du CRAC Occitanie, Sète
Résidence d’artiste à Lindre-Basse, 2015
Ronan Lecreurer pratique la sculpture comme une science de l’assemblage: les mécaniques secrètes qui président à l’élaboration de ses œuvres témoignent de cet art du collage et du montage où les affinités électives entre images, objets, récits, gestes et techniques distillent un trouble latent.
Ce principe de bascule permanent dans son travail, qui provient souvent de hasards productifs, plus ou moins provoqués, se retrouve dans plusieurs œuvres.
À Lindre-Basse, Ronan Lecreurer développe une recherche entamée précédemment autour de la figure de Robinson Crusoé. Le contexte du Parc Naturel Régional de Lorraine, avec son étang, son isolement naturel, fait écho à cette figure littéraire autour de laquelle l’artiste compile depuis plusieurs années une importante documentation. Partant de Robinson, il s’intéresse au mode de l’évasion et en particulier aux véhicules fictionnels qui jalonnent la littérature, le cinéma, et l’histoire même des sciences, faite d’inventions plus ou moins poétiques et de ratages formidables.
S’appuyant sur des documents tirés de gravures antiques ou de descriptions littéraires, Ronan Lecreurer s’attache alors à retrouver les modes de fabrication de deux objets en particulier: d’une part un véhicule spatial tiré par des oies, destiné à l’exploration lunaire (Man in the Moone, Francis Godwin, 1638); et d’autre part un radeau animalier constitué de peaux de bovins tannées et gonflées, faisant office de bouées. Fort de cet imaginaire à la fois fantasmé et historique, Ronan Lecreurer retrace les gestes, les techniques et les formes qui lui permettront de reconstituer les véhicules en question. Au cours de cette quête complexe, faite de détours et de courts-circuits, l’artiste déploie une collection d’images qui se propage sur le mur de l’atelier, tel un atlas sans fin où se dessine en creux une histoire parallèle de l’évasion.